J'ai eu plusieurs vies : professeur, vidéaste, principal de collège.

Aujourd'hui, dans ma nouvelle vie, je fais des ronds et des carrés.

Mon matériau de prédilection, c'est la pierre de Caen. C'est un calcaire, qui, comme son nom l'indique, se trouve dans le sous-sol de la région de Caen en Normandie. D’une grande finesse, facile à travailler, une pierre blanche qui tire légèrement vers le jaune en vieillissant au contact de l’air.

J'aime lui associer le bois et l'acier. Je travaille beaucoup avec des matériaux de récupération, des vieux outils, du vieux bois de charpente. On y trouve les traces des ouvriers qui les ont façonnés, mais aussi les traces du temps, les dégradations dues à l'humidité et aux insectes. C'est la confrontation de ces matériaux, de leurs propriétés, qui m'intéresse : le lisse et le rugueux, la courbe et la ligne droite, le minéral, le végétal et l'industriel, le sombre et le clair.

Il en résulte des pièces uniques dotées d'une identité propre, fruit de la collaboration entre un ouvrier d'autrefois, quelques insectes grignoteurs et moi, qui refaçonne, rassemble et assemble le tout.

Mettre en présence ces matériaux, les assembler, c’est d’abord rechercher l’essence de la matière, dans sa forme la plus épurée. C'est la quête de l'évidence, l'envie que l'on se dise en considérant l'objet bon Dieu mais c'est bien sûr. D’où un minimalisme assumé, avec la conviction que « less is more » : l’essentiel réside dans les formes, les proportions, les rapports de force entre les matériaux.

Donc des ronds et des carrés. Mais des ronds pas tout à fait ronds, des carrés pas vraiment carrés, et toujours dans le cadre d'une géométrie résolument non euclidienne.

Au-delà de la forme, et dans la forme, il y a aussi les signes, les balafres, les ondulations, les rides, les orifices, les ruptures, les espaces, les alternances de vide et de plein, tout ce qui nous renvoie au geste souvent énigmatique de l'artiste du paléolithique, ce compagnon inconnu et fascinant.

En fabriquant des « objets irrationnels à fonctionnement symbolique », je m’inscris avec délectation dans une inspiration surréaliste. C’est pourquoi cette identité se traduit également dans le titre, le nom de baptême de chaque pièce. Chacun pourra s'amuser à chercher, les références ne manquent pas et ne se cachent pas. Le nom est destiné à identifier l'objet, à mettre le regardeur sur une piste. À lui de décider si elle lui convient ou s'il préfère choisir une autre interprétation.

De mon côté, j’aurai tenté de dialoguer avec les artisans d’autrefois, qui ont forgé, martelé le métal, raboté, mortaisé, poncé le bois. De me confronter à l’écoulement et à la concordance des temporalités: le temps géologique au secret de la pierre, le temps biologique des insectes mangeurs de bois, le temps laborieux de l’ouvrier du passé, le temps immémorial de l’artiste premier, l’inventeur du signe. De rechercher la forme pure, puis de la rompre par l’empreinte, la coupure, la balafre. De marier dans l’objet la géographie et l’histoire, la gravité et la fantaisie, l’inspiration de Lascaux et de la boule suspendue de Giacometti.

 Et au-delà de l'exclamation du commissaire Bourrel, simplement faire sourire, donner envie de caresser, apporter une petite note de bien-être.